Carla Del Ponte

elle oeuvre pour que justice soit faite : interview d'une femme d'honneur

Ancienne procureur général de la Confédération helvétique, Carla Del Ponte est née le 9 février 1947 à Lugano. Elle étudie le droit à Berne et à Genève, puis travaille dans un cabinet d'avocat à Lugano (droit pénal et criminologie). Elle étudie le droit international en Grande- Bretagne et en Irlande du Nord. Elle crée ensuite sa propre étude à Lugano. Juge d'instruction, puis procureur du canton du Tessin, elle participe au développement de l'entraide judiciaire internationale dans des affaires de criminalité économique, de trafic de drogue, de crime organisé et de blanchiment d'argent. Grâce à ses efforts, la Suisse se dote d'un nouveau dispositif législatif contraignant les banques à collaborer avec la justice. En 1999, le Conseil de sécurité de l'ONU la nomme procureur général des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. A ce poste, elle a succédé à Louise Arbour. En 2003, elle est dessaisie de son poste pour le Rwanda, tout en conservant celui pour l'ex-Yougoslavie. En 2006, elle reçoit le prix allemand Wartburg pour son «courage sans précédent».

  • Quels sont les éléments qui vous ont motivée à poursuivre vos formations en droit pénal puis en criminologie?
    Ne cherchez pas une vocation spéciale! J'aurais voulu faire médecine, mais mon père trouvait que ce n'était pas un investissement rentable car les études sont longues et, dans son esprit, j'allais me marier et avoir des enfants et n'aurais pas l'occasion d'exercer. Alors, j'ai choisi le droit parce que les études étaient plus courtes.

  • Vous avez eu l'occasion de travailler avec le juge Falcone: qu'avez-vous retiré de cette rencontre et de votre collaboration avec cette personnalité?
    Le juge Falcone m'a appris le métier de procureur, le vrai, celui qu'on ne peut connaître qu'au contact de la grande criminalité. Ce fut une chance unique pour moi de côtoyer cette personnalité exceptionnelle.

  • Durant votre mandat comme procureur de la Confédération, quelles sont les difficultés principales que vous avez rencontrées?
    Le job de procureur de la Confédération est très exposé. Le procureur évolue dans un contexte super-politisé et super-médiatisé. Il est parfois difficile de se soustraire à cette pression pour monter un dossier dans le calme et la sérénité.

  • Durant plusieurs années, vous avez oeuvré comme procureur général du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie: quel a été votre sentiment à la découverte des dossiers que vous avez instruits? Pensez-vous que ces Tribunaux aient réveillé la conscience internationale?
    Ces tribunaux s'occupent de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et du crime de génocide. Ce sont les pires crimes imaginables, et ils ont été commis au Rwanda et dans l'ex- Yougoslavie à très grande échelle. Je ne vois pas comment ces sociétés peuvent redevenir normales sans qu'on ait fait toute la lumière sur ces horreurs et condamné les coupables. Malheureusement, depuis mon départ du Rwanda, le parquet ne s'occupe plus que des crimes commis par une partie. Ceux commis par l'équipe qui est actuellement au pouvoir –et croyez-moi, ils sont nombreux et très, très graves - ne font plus l'objet d'enquêtes. Dans l'ex-Yougoslavie, la Serbie refuse toujours d'accepter qu'elle a eu un rôle clef dans les guerres de Croatie et surtout de Bosnie-Herzégovine; elle cache la vérité sur les crimes à sa population et protège toujours les pires criminels de guerre, Karadzic et Mladic. La pression internationale visant à obliger la Serbie à traîner ces seigneurs de la guerre devant notre Tribunal tend à diminuer, car le monde a d'autres priorités aujourd'hui. C'est inacceptable, et je ne cesserai pas de me battre. Les politiques ont créé les Tribunaux, dans la première moitié des années nonante, en réaction aux rapports, notamment médiatiques, qui leur parvenaient sur les atrocités. C'était en quelque sorte une réaction de leur conscience. Maintenant, les images du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie ont été remplacées par celles de l'Iraq ou du Liban, et je dois me battre pour garder réveillée la conscience des Occidentaux devant la nécessité de poursuivre jusqu'au bout les crimes commis en Bosnie-Herzégovine, en Croatie, au Kosovo et en Macédoine.

  • Quels sont à vos yeux les enjeux de la justice internationale pour ce 21ème siècle?
    Que la justice prenne l'ascendant sur la politique! Il faut faire de la Cour pénale internationale (CPI), qui est elle permanente et a une juridiction universelle, un vrai instrument de justice. La CPI doit absolument éviter de devenir un jouet politique aux mains des grandes puissances. Le risque existe.

  • Beaucoup affirment que vous êtes l'une des rares personnalités qui n'ait jamais hésité à s'attaquer aux grandes puissances de ce monde: quelles sont les motivations qui vous ont poussée à réaliser de telles entreprises? ...et avez-vous déjà eu peur?
    Si vous voulez pouvoir vous regarder dans la glace le soir, vous devez avoir la certitude que vous avez bien fait votre travail, dans le seul respect de la loi. Je ne me suis jamais attaquée aux puissants, ce sont les puissants qui sont venus à moi par leurs activités illicites. La tâche des procureurs est de réparer les injustices, quels qu'en soient les auteurs. Avoir peur? Peut-être. Peut-être pas. Qu'est-ce que cela importe en regard de la terreur et des souffrances endurées par les vingt mille femmes musulmanes violées en Bosnie par les forces serbes?

  • Ce numéro d'etumag est dédié aux étudiantes: quels sont vos conseils pour celles qui souhaitent accéder à des postes à responsabilité au niveau national ou international?
    - Il n'y a pas de différences entre un homme et une femme au plan professionnel.
    - Chacun a le devoir impératif de rester fidèle à ses convictions.

  • Quel est votre message pour les étudiantes qui vous lisent?
    Révoltez-vous! Les femmes sont plus douées que les hommes pour rejeter le mensonge et l'injustice. Sans révolte, le monde fait du surplace.

né en 1939 à Palerme, il y suit également ses études de droit. Bête de travail et reconnu pour son obstination à résoudre les problèmes, il est embauché au tribunal civil de Palerme en 1978 et s'intéresse de très près à la Cosa Nostra, «sa guerre contre la mafia». Il mène à bien des procès contre d'importants membres de la mafia. Le 23 mai 1992, la mafia sicilienne fait exploser l'autoroute qui le conduit vers sa ville natale.