Thierry Meury

Humoriste

«Un humoriste, c'est un philosophe qui rit jaune...». Vous reconnaissez- vous dans ce propos d'Emile Coderre?
Evidemment. Tout autant d'ailleurs que dans «l'humour est la politesse du désespoir» de Boris Vian. «L'homme crie où son fer le ronge» comme l'a écrit Aragon dans ce poème mis en chanson par Jean Ferrat sous le titre «Les poètes». Je pense même que les humoristes les plus féroces et les plus grossiers à l'occasion, le sont en général proportionnellement à leurs blessures. L'humour est un bras d'honneur à la mort et à toutes les saloperies que l'humanité engendre. Rire du pire est d'une certaine façon «traiter d'égal à égal» avec Dieu, avec un Dieu, ou avec le Monde, si l'on n'est pas croyant, ce qui est mon cas. Rire de tout peut donner le sentiment d'être plus fort que le Malheur. Un peu comme ces cuites magistrales que l'on peut prendre à l'occasion d'une déchirure sentimentale: vous êtes Roi le temps d'une nuit et plus rien ne semble pouvoir vous atteindre.

Ce qui me fait penser que l'humour est une fabuleuse et monstrueuse cuite dans un pays où les bars ne ferment jamais.

En pourfendeur des conventions, seriez-vous à l'aise dans la peau d'un étudiant d'aujourd'hui?
Non. Car si je devais être étudiant aujourd'hui, je ne pourrais que constater que les écoles n'ont pour vocation de nos jours que de fabriquer des leaders, des gagneurs, des patrons et des valets zélés. Et je ne pourrais de même que me rappeler que mes prédécesseurs, après avoir été «trotskystes», «maoïstes» ou «anarchistes» autoproclamés, ont presque tous fini au service des dominants, quand ils ne le sont pas devenus eux-mêmes.

En qualité d'«apôtre de l'ivresse et de la douceur de vivre», auriez-vous un conseil à prodiguer aux étudiants?
Les conseilleurs étant rarement les payeurs - et encore moins de la tournée - ce n'est pas un conseil que j'ai envie de donner mais un avis très personnel: comme il faut je pense renoncer à rêver d'un monde meilleur et à espérer le changer en ce sens, le mieux est de profiter de la vie, de tous les plaisirs de l'existence avec un minimum de retenue et sa propre conscience comme limite. Ceci en prenant garde simplement de contribuer même modestement au bonheur de ceux qu'on aime plutôt que de vouloir faire le bonheur de tous. Et en n'oubliant pas de temps en temps de cracher à la gueule de ceux qui vous emmerdent, ce qui est aussi un plaisir de l'existence. Le tout fabriquant à mon sens un homme libre, même si bien sûr la chose est toujours à relativiser. Je dirai donc que tout cela peut fabriquer «quelque chose qui ressemble à un homme libre». Ce qui me fait dire en conclusion et pour paraphraser Edmond Kaiser «qu'un seul homme de plus se sente libre et ce monde sera déjà meilleur…».