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Le Dies Academicus

Un jour pas comme les autres dans la vie de l'université

Célébré chaque année dans les universités suisses, le Dies academicus donne lieu à un jour de congé. Mais que fête-on précisément à cette occasion? Eclairage en compagnie de Marco Marcacci, historien spécialiste des questions universitaires.

Que célèbre-t-on à l’occasion du Dies academicus?

En général cette journée rappelle la naissance de l’université concernée et tend à coïncider avec la date de fondation ou d’inauguration de l’institution académique. C’est donc l’anniversaire de l’université et, plus précisément, un jour de fête annuelle, pour resserrer les liens entre les membres de la communauté académique et s’ouvrir à la cité.

D’où nous vient une telle tradition?

Elle remonte au Moyen Age. A la base, il semblerait que le Dies désignait le jour de la semaine sans cours (le jeudi). Plus tard, il est devenu un jour de fête anniversaire. Cette tradition s’est affirmée et maintenue surtout dans l’univers germanique et suisse, tandis qu’elle est inconnue en France. 

Le rituel rappelle aussi les liens avec l’église catholique de l’université médiévale. Sauf Bâle (1460), les universités suisses sont récentes (XIX-XXème siècle) et pour la plupart de traditions protestantes. Les «hautes écoles» ou académies de Genève et Lausanne connaissaient les «promotions» annuelles. Le Dies y a donc été introduit plus tard.

Du reste, ce besoin de jubilés, commémorations, anniversaires, fêtes nationales, etc, s’est affirmé au XIXe siècle.

Le Dies academicus suit un rituel précis? Quels en sont les temps forts?

Chaque université semble avoir ses particularités mais il y a des constantes: une cérémonie solennelle dans un lieu chargé d’histoire ou de valeur symbolique, le discours du recteur et d’autres allocutions selon un protocole strict. Les prises de parole rappellent souvent l’origine et la mission de la haute école en général, ses problèmes et ses perspectives, en particulier. Elles abordent aussi des thèmes d’actualité, à l’image des allocutions de la fête nationale. Aux discours s’ajoutent des symboles (collier du recteur, couleurs des différentes facultés), des habits de cérémonie ainsi qu’une mise en scène qui rappelle la structure et l’organisation académique (recteur, sénat, facultés, etc.). Il y a aussi la distribution des prix et la remise de doctorats honoris causa qui rappellent le privilège des universités de distinguer et «adouber» leurs pairs. Sans oublier: les moments plus festifs (exécutions musicales, repas ou banquet). Dans certains cas, les participants se rendent à la cérémonie en cortège.

 Le rituel du Dies academicus s’est-il modifié avec le temps?

A côté de la construction d’un rituel et l’apparition de symboles (robe, chaîne) qui ne faisaient pas partie de la tradition académique suisse, il y a eu dernièrement un déplacement de date, pour des questions d’ordre administratif ou logistique. Certaines universités célèbrent désormais le Dies un samedi. Genève a déplacé le Dies du 5 juin au mois d’octobre. A Bâle, l’événement a toujours lieu le dernier vendredi de novembre car la date précise de création de l’université n’est pas connue. Il semble donc que le Dies tende à s’éloigner de la date anniversaire pour devenir une journée qui célèbre le début ou la fin de l’année académique.

A Fribourg, université catholique, une cérémonie religieuse fait partie du Dies, mais là aussi, signe des temps, la cérémonie est devenue œcuménique.

 D’où provient le mélange entre autorités politiques et universitaires?

En Suisse, les universités dépendent grandement des cantons. Elles sont organisées selon des lois cantonales et leur financement est assuré en premier lieu par le canton, ensuite par la Confédération. La présence des autorités politiques sert donc à commémorer cette situation, typique du fédéralisme helvétique. Les autorités politiques tiennent à rappeler que les institutions académiques sont publiques, financées par les contribuables et «protégées» par l’Etat qui leur garantit une certaine autonomie. Les universités veulent de leur côté se montrer ouvertes à la cité et témoigner de leur gratitude aux institutions politiques qui leur assurent les moyens financiers, les infrastructures et le cadre légal.

Si ce n’est délivrer des prix, quel sens revêt cette manifestation à l’heure actuelle? 

On peut légitimement se poser la question. Elle sert peut-être à créer ou renforcer une certaine identité corporative de l’institution. C’est aussi l’occasion de montrer, par exemple à travers les personnalités invitées ou distinguées avec un doctorat honoris causa, le réseau de relations d’une université. C’est également une opération de relations publiques, envers les médias, les politiciens, les sponsors et les milieux économiques.

Aux yeux des étudiants, le Dies academicus rime plus avec jour de congé que cérémonie officielle de l’université!

Les jeunes en formation n’ont jamais été au centre de cette manifestation qui est plutôt un moment réservé aux autorités académiques, aux professeurs et aux docteurs. Autrefois, leur représentation était confiée aux sociétés estudiantines revêtant leurs couleurs, qui ont, actuellement, beaucoup perdu de leur rôle et importance. A l’époque de mai 68, certains jeunes étaient tentés d’y participer pour manifester leur «dissidence». Avec l’institution d’organes de participation au sein des universités, un représentant des étudiants est invité à prendre la parole pendant le Dies.

Aujourd’hui, vu le grand nombre d’étudiants inscrits, les liens avec les rituels institutionnels faiblissent et se perdent. Et si le Dies se déroule le samedi, les jeunes en formation ont tendance à ne même pas remarquer l’événement.

Mais, cet état de fait est surtout valable pour la Suisse. En Allemagne, les choses se passent autrement. Le jour du Dies il y a toute une série d’initiatives par et pour les étudiants: concerts, activités sportives, offres culturelles et amusements.

MB